Européennes : une autre lecture des résultats

Faut-il analyser les résultats des différentes élections sur la base de l’ensemble des électeurs inscrits ? Compte tenu du rejet grandissant du système représentatif, de l’influence des médias sur les différents scrutins et du dégoût inspiré par la classe politique, nous avons clairement tranché cette question par l’affirmative depuis des années. Les abstentionnistes de conviction sont légion et cela est d’autant plus vrai lors des élections européennes, où une partie de l’électorat refuse de participer à un scrutin qu’ils estiment illégitime depuis la trahison du référendum de 2005 sur la constitution européenne.

Comme lors de la présidentielle de 2017, nous allons donc reporter les résultats des européennes du 26 mai au corps électoral. Et comme vous pouvez constater, seuls 47,85% des électeurs ont voté pour une des listes candidates. 49,88% d’entre eux, soit plus de 23,6 millions de citoyens, se sont abstenus et 2,28% ont mis un bulletin blanc ou nul dans l’urne (1). Ce qui nous donne la répartition des voix ci-dessous.

C’est tout de suite beaucoup moins impressionnant qu’un RN à 23,3% et En Marche à 22,4%. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le parti d’Emmanuel Macron obtient grosso modo un score (10,72%) qui correspond à son socle électoral, soit les électeurs qui avaient voté pour lui par conviction et non par défaut lors du 1er tour de la présidentielle. On peut raisonnablement considérer que, compte tenu de l’importance du scrutin pour le chef de l’État, une grande majorité de ceux qui le soutiennent encore se sont mobilisés. Ce qui ne fait que confirmer sa faible popularité. Quant au Rassemblement National (11,16%), il perd 5 points par rapport à son score du 1er tour de l’élection présidentielle (16,14%) (2), de quoi largement relativiser là-aussi « la percée de l’extrême droite ».
Les anciens « partis du système », remplacés dans le cœur des médias par LREM, sont eux en lambeaux. LR, avec 4,06% ne représente guère plus que la droite catholique conservatrice et le PS mené par Raphaël Glucksman n’obtient même pas 3% des électeurs inscrits, c’est moins que le score de Benoît Hamon lors de la présidentielle (4,82%).

La « surprise » est clairement à mettre à l’actif d’EELV. Les Verts de Yannick Jadot (6,45%) ont fait mieux qu’Hamon en 2017, derrière lequel ils s’étaient pourtant rangés. Les nombreux témoignages en sortie des bureaux de vote, en particuliers de jeunes de moins de 30 ans, qui avouaient avoir choisi de voter « écolo » au dernier moment, laissait présager d’un tel résultat. L’urgence écologique y est évidemment pour beaucoup. Reste à voir dorénavant l’attitude de ces derniers au parlement européen. Vont-ils faire bande à part et seulement défendre les mesures qui vont à l’encontre des lobbys et dans le sens de la protection de l’environnement ? Ou alors vont-ils faire partie d’une grande coalition avec les sociaux-démocrates, les libéraux et même la droite conservatrice, ce qui relèverait d’une énième trahison, sûrement celle de trop.
Quant à la grosse désillusion, elle est évidemment pour la France Insoumise. Avec 3,02% des électeurs inscrits, LFI a pris une énorme claque. Lors de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon avait quasiment rassemblé 15% du corps électoral, mais 2017 est désormais bien loin. Les abstentionnistes anti-système et les jeunes, convaincus par JLM deux ans plus tôt, ont depuis déchanté. Les médias n’ont pas épargné les insoumis, certes, mais cette explication ne suffit plus. Il faut plutôt chercher du côté du fonctionnement autocratique du parti, où les proches sont de Mélenchon trustent les responsabilités. Une réalité très « ancien monde » décrite par ceux, assez nombreux, qui ont quitté le navire. Des anciens candidats aux législatives ou des membres actifs de l’écriture de certains volets de « l’avenir en commun » qui considèrent tous que si Mélenchon a permis — notamment par ses talents d’orateur — au mouvement de percer, il en est désormais sa limite, voire son boulet. Les « gilets jaunes », qui auraient pu adhérer aux idées de LFI, préfèrent largement la figure de François Ruffin et voient en Mélenchon un monarque en puissance. Son omniprésence sur les bulletins de la liste menée par Manon Aubry (auteure pourtant d’une campagne remarquée), a fini de plomber les insoumis.

Bref, tout ceci semble nous diriger dans une impasse. Alors qu’une majorité de nos concitoyens refusent de participer à la mascarade électorale, s’installe durablement dans le paysage politique le duel favori des médias mainstream, le désormais fameux « populistes vs progressistes ». À ce compte-là, la ré-élection d’Emmanuel Macron et/ou la perpétuation du « système » pour « faire barrage à l’extrême droite » ne fait guère de doute. Heureusement, des initiatives citoyennes pour une (vraie) Démocratie émergent et les élections municipales de 2020 pourraient bien marquer un tournant dans la réappropriation de la « chose publique » par le peuple. Mais ce sera l’objet d’un prochain papier.
En attendant, si nous avions encore droit à la chronique hebdomadaire de Pierre-Emmanuel Barré, il chanterait plus que jamais : « On a gagné ! »

Références :
1. Élections européennes 2019 : https://elections.interieur.gouv.fr/europeennes-2019/FE.html
2. Élection présidentielle 2017 : https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle-2017/(path)/presidentielle-2017/FE.html

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