La Belle et la Bête

Ah l’affaire Weinstein ! La belle affaire ! Voilà qui va crever un abcès de la taille d’un volcan. Je vous l’assure, je vous le prédis, la moitié de l’humanité va révéler des agressions, du harcèlement ! La moitié féminine dont je fais partie et qui évidemment a subi son lot d’agressions sexuelles comme tout le monde.
Naître fille est un handicap. Je l’ai senti rapidement, très rapidement même. Je trouvais ma condition restrictive. Je voulais des petites voitures et un train électrique. J’étais déçue car le Père Noël était sexiste. J’ai arraché la tête de ma première poupée.
Et puis je détestais les robes et les collants de laine. Le jean a été une délivrance.
Née dans les années 50, âge de pierre pour la femme dans notre pays, vous n’imaginez même pas, j’ai connu la vraie femme au foyer totalement dépendante de son mari. Mis à part quelques spécimens de filles instruites et bien nées, c’était dur dur !
C’est vrai les choses allaient évoluer rapidement.
Être une fille, une « princesse » comme on dit maintenant ! (Voyez comme on évolue !), c’est juste croire que l’on est promise au prince charmant ! Quoi d’autre ? Je ne dis pas que tous les parents élèvent leurs filles dans cette idée mais si on regarde un peu les films et les livres, c’est vrai que le déterminisme est là ! Et c’est valable aussi pour les garçons ! Vous connaissez ces jeux vidéos ignobles où on a le droit de tuer et de violer ? Des jeux interdits aux enfants mais auxquels ils ont accès souvent à cause de pères adolescents attardés et négligents qui laissent les ordinateurs ouverts.
Mais le sexe ce n’est pas nouveau. Il vaut même mieux que les enfants soient mis en garde tôt car les prédateurs rodent parfois où on ne les attend pas. Il faut expliquer le sexe aux enfants, il y a des mots pour chaque âge.
Les filles en grandissant s’intéressent au sexe autant que les garçons et souvent plus jeunes mais, si elles sont curieuses, elles sont plus romantiques. Les garçons eux, sont des sanguins aux hormones exacerbées et bien visibles. Nul ne peut occulter une érection !
Les filles minaudent, les garçons roulent les mécaniques quand d’autres souffrent de complexes dans leur coin.
En groupe, les choses s’équilibrent. Mais seul, tout se complique.
Dès que j’ai eu 13 ans, une poitrine de lolita, de longues jambes et un physique attrayant, je ne pouvais plus marcher dans la rue sans être sifflée ou agressée verbalement. J’avais honte et je n’osais pas dire à mes parents ce que j’avais entendu d’obscénités dans la rue. Une façon de les protéger sans doute, eux qui pensaient que j’étais toujours leur petite fille. Le Monde à l’envers !
Pendant les mariages, des cousins avinés plus ou moins âgés m’invitaient à danser, me collaient en me transpirant dessus tout en cherchant à me peloter. Au lycée certains professeurs me complimentaient sur mon physique sans être goujats. Les filles me détestaient pour cela et je n’avais d’autres recours que de m’habiller en jean avec des pulls informes qui cachaient tout. Au bac, j’ai passé les maths à l’oral étant en section littéraire, j’avais 18 de moyenne sur mon dossier et l’examinatrice, une vieille fille sans doute, m’a toisée et m’a demandé d’un ton revêche : « Votre prof de math, c’est un homme ? » Même aujourd’hui je n’arrive pas à croire que j’ai entendu cette question !
Mais c’était l’été et j’étais en robe.
Après je me suis protégée derrière mes petits amis, puis derrière mon mari !
Pourtant je n’étais ni une bimbo ni une beauté, j’étais juste bien foutue !
Il est donc très facile d’imaginer le quotidien d’une starlette. Depuis que je suis toute petite , j’entends dire « Dans le show biz, il faut coucher ! » Le sexe semble être un passage obligé. Même pour les hommes. On n’en parle pas mais ça doit aussi marcher comme ça.
Pour que ça change effectivement il faut dire stop, non, halte là et il faut sévir ! Ça passe par un refus collectif.
La galanterie, les compliments n’ont jamais tué personne, bien au contraire mais il faut lutter systématiquement contre ces prédateurs imbus de leur pouvoir et assoiffés de chair fraîche. Il faut dénoncer les promotions canapé dans les entreprises, les chefs qui manipulent et séduisent leurs employées et qui mènent une vie d’enfer à celles qui résistent. C’est du vécu !
Sachez qu’une femme seule est une proie de tous les instants. Si peu qu’elle soit jolie, elle est systématiquement harcelée. Parfois ça reste discret mais souvent c’est lourd, très lourd.

Je terminerai par cette histoire intemporelle, celle de Tess d’Urbeville.
Polanski, qui savait de quoi il parlait, a mis en scène ce personnage magnifique du roman de Thomas Hardy. Je recommande vivement le film et le roman.
Tess n’a d’autres défauts que d’être belle, innocente et pauvre. Lorsque son père l’envoie chez sa soi-disant parente aristocrate pour y proposer ses services, elle tombe sur le libidineux Alec d’Urbeville, son fils. Elle résiste du mieux qu’elle peut puis il finit par la violer et la posséder. De retour chez elle, elle met au monde un bébé qui ne vivra pas. Puis elle part travailler dans une laiterie ou Angel Clare, un fils de pasteur romantique tombe fou amoureuse d’elle. Cet amour est réciproque. Il l’épouse mais Tess lui révèle la vérité sur son tragique passé. Il part, dévasté à l’idée de ne pas avoir épousé la jeune fille pure qu’il aimait. Par fierté elle refuse de quémander de l’aide à ses beaux parents et vit dans la plus grande misère puis elle recroise le chemin de son bourreau. Pour sauver ses sœurs et sa mère de la pauvreté, lasse d’attendre son mari qui ne répond pas ses lettres, elle accepte de redevenir sa maîtresse, sa chose. Lorsque Angel revient après des années d’errance pour lui demander pardon, Tess assassine son amant pour le rejoindre. Elle sera pendue. Cette histoire est tirée d’une histoire vraie. Tess a été la dernière femme exécutée en public en Angleterre au XIX siècle.
Tess était trop belle.

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