La Constituante : une utopie pour le présent

Le « grand débat national » est présenté comme une réponse. Mais c’est une mauvaise réponse : le gouvernement ne peut pas en même temps donner la parole au peuple et rester maître de la décision finale. Restituer ce pouvoir au peuple appelle une Constituante.

Le Président a décrété l’état d’urgence économique et sociale. En réalité, il y a une urgence démocratique. Pierre Rosanvallon constate: « Nos régimes peuvent être dits démocratiques, mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement ». Les problèmes économiques et sociaux du pays sont la conséquence directe de ce mode de gouvernement.

Le « grand débat national » est une mauvaise réponse à cette urgence : le gouvernement ne peut pas en même temps donner la parole au peuple et rester maître de la décision finale.  En même temps ouvrir un débat sur la fiscalité et laisser entendre qu’il faut évaluer la réforme de l’ISF avant le rétablir éventuellement cet impôt. En même temps dire « que cent fleurs s’épanouissent » et réserver au Président le choix de celles qu’il cueillera au printemps.

Le problème n’est pas d’organiser un concours Lépine des plus belles idées sur l’écologie, la fiscalité et les dépenses publique, la démocratie et la citoyenneté, l’organisation de l’État et des services publics. Le problème, c’est de restituer au peuple le pouvoir de décider, lui donner la possibilité effective de changer les règles du jeu. Restituer ce pouvoir au peuple appelle une Constituante. Et face à un pouvoir légal de plus en plus illégitime et à une alternative politique à construire, pourquoi ne pas expérimenter le tirage au sort ?

Les précédents existent : en 2012, une commission constitutionnelle a été créée en Irlande, composée de 33 responsables politiques et de 66 citoyens tirés au sort, représentatifs en termes d’âge et de genre. En 2008, l’Islande a tiré au sort 1000 personnes. En 2004,  en Colombie Britannique (Canada), 160 citoyens ont été désignés par tirage au sort pour réformer le système électoral : il apparaissait évident que les politiques ne soient pas juges et parties pour réformer un système dans lequel ils avaient un intérêt.

L’enjeu n’est pas de définir les modalités de tirage au sort, le nombre des élus, la participation éventuelle de parlementaires (à doses plus ou moins homéopathiques), la possibilité pour cette assemblée de s’adjoindre des conseillers juridiques ou encore la procédure pour faire remonter ce qui pourrait être dit dans des débats régionaux.

Faire le pari de l’intelligence citoyenne

L’enjeu est d’admettre qu’une telle assemblée pourrait avoir un mandat constituant. De faire le pari qu’une intelligence collective pourrait répondre à la crise mieux que le pouvoir politique. D’admettre que ce ne serait pas le Président mais une assemblée de citoyens lambdas qui décideraient des questions à poser, et que ce seraient tous les citoyens qui décideraient de répondre oui ou non, par exemple au moment des élections européennes du 26 mai prochain.

Cette assemblée pourrait ainsi proposer (ou non) d’abolir notre monarchie républicaine, de réformer la représentation politique, d’élargir le recours au référendum, de définir les conditions d’indépendance de la justice…  Elle pourrait, pour emprunter les mots de Dominique Rousseau, radicaliser la démocratie, et instaurer une démocratie continue. Car la démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est action continuelle du citoyen non seulement sur les affaires de L’État, mais sur celles de la région, de la commune, de la coopérative, de l’association, de la profession. Si cette présence vigilante ne se fait pas sentir, les gouvernements (quels que soient les principes dont ils se recommandent), les corps organisés, les fonctionnaires, les élus, en butte aux pressions de toute sorte de groupes, sont abandonnés à leur propre faiblesse et cèdent bientôt, soit aux tentations de l’arbitraire, soit à la routine et aux droits acquis… La démocratie n’est efficace que si elle existe partout et en tout temps. Ce que disait Pierre Mendès France dans la République moderne demeure d’actualité.

Ce serait aussi un retour aux fondamentaux. Car l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame que « la loi est l’expression de la volonté générale et que tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ». Et l’article 2 de la Constitution rappelle le principe de la République ; gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple.

Sans doute le pouvoir actuel n’est pas encore prêt à une telle concession, car les conditions actuelles d’organisation de L’État confèrent trop de privilèges à quelques uns. C’est là qu’il faut se rappeler de la nuit du 4 août 1789, restée dans l’histoire comme la nuit de l’abolition des privilèges. Ce n’était pas un moment de générosité. C’était la conséquence d’une vague de révoltes appelées la Grande peur. Dans certaines régions, des paysans s’en prenaient aux seigneurs, à leurs biens et à leurs archives. L’abolition des privilèges a été une réponse à cette insurrection. Combien de samedis les gilets jaunes devront-ils encore faire peur pour parvenir à de vraies propositions politiques ?

 

L’auteur : Eric Alt est magistrat, vice-président d’Anticor et administrateur de Sherpa.

Partagez cet article !