Lettre au peuple de Macron

En France, ça va mal. Dans les crèches, les écoles, les universités, les hôpitaux, les EHPAD, les CAF, les agences Pôle Emploi, les petites et moyennes entreprises, les exploitations agricoles, l’armée, les commissariats, les prisons, les centres de rétention administrative, les rédactions de journalistes ou la rue, entre autres, ça va parfois même très mal. Après des mois de “crise des Gilets jaunes”, selon l’expression médiatiquement consacrée, et un “Grand débat national” aux allures de campagne de La République En Marche pour les élections européennes, votre président est resté sourd aux demandes légitimes de millions d’habitants de ce pays. D’un point de vue général, à en croire vos éléments de langage, la France serait toujours dans l’obligation de procéder à certaines “réformes urgentes”. De nouvelles économies dans les services publics ou d’énièmes privatisations se justifieraient par un déficit public récurrent, la dette ou la nécessité de financer la transition écologique. Sauf que ce raisonnement global est pour le moins étrange, car il repose en réalité sur une hypothèse qui exclut purement et simplement la principale cause des difficultés financières de l’État.

En 2019, les recettes du budget général (impôt sur le revenu, sur les sociétés, TVA, etc.) atteindront 290 milliards d’euros, les dépenses 390 milliards (1). Ce déséquilibre engendrera un déficit public annuel de l’ordre de 100 milliards d’euros (85 milliards en 2018). Mais une question demeure : la faute à qui ? L’évasion fiscale et l’optimisation agressive des multinationales, ainsi que la fraude fiscale de riches particuliers, priveraient l’État d’au moins 100 milliards d’euros de recettes par an, soit un montant équivalent au déficit public prévu en 2019 (2) ! 100 milliards qui s’évaporent chaque année, c’est 274 millions d’euros par jour ! En schématisant, on peut dire qu’une journée d’évasion fiscale, c’est un million d’euros en moins pour 274 hôpitaux. Une autre journée, c’est 27 400 écoles qui font une croix sur 10 000 euros. Ce fléau coûte plus cher que les budgets de l’éducation nationale ou de la santé (1). 100 milliards, c’est aussi 137 fois le montant annuel des fraudes détectées aux prestations sociales (1). Cela représente un préjudice de 221 euros par mois pour chacun des 37,7 millions de foyers fiscaux français. Ainsi, il est absolument grotesque de conclure que le problème réside du côté des dépenses de l’État. Le vrai problème, c’est les recettes.

Si les multinationales et les plus fortunés payaient leurs impôts, comme tout le monde, le partage de l’effort permettrait mécaniquement une baisse générale de la pression fiscale. Ne serions-nous pas alors plus “compétitifs”, terme qui vous est si cher ? Mais lorsque vous dites “compétitivité”, ne faudrait-il pas plutôt comprendre “favoritisme” ? Nous ne vous entendons presque jamais, ou alors très timidement, pester contre ce fléau. Lors de vos grands élans de “pédagogie”, vous n’expliquez pas que si cette pression fiscale considérable et injuste pèse sur les petites et moyennes entreprises, c’est uniquement parce que les plus grandes ne payent pas leur part. Pire, lorsque vous expliquez à des petits patrons que c’est le travail qui coûte trop cher, vous leur mentez. Car c’est uniquement en éradiquant l’évasion fiscale, et non en supprimant des cotisations sociales, que de l’emploi pérenne pourrait être massivement créé dans leurs petites et moyennes entreprises. On assisterait alors également à une explosion de la production et des échanges de produits locaux en circuits courts, les plus respectueux de nos communes et de l’environnement en général. N’était-ce donc pas vous qui prétendiez vouloir vaincre le chômage et make our planet great again ?

Dans la réalité, le président Macron semble plutôt protéger les grands groupes mondialisés de la concurrence des agriculteurs bio, des petites entreprises, des artisans ou des petits commerçants. Et ceci notamment afin de préserver les bénéfices de ceux qui l’ont fait élire en 2017 en finançant et en médiatisant à outrance sa campagne présidentielle (3). Même lorsqu’il vous annonce vouloir lutter contre l’évasion fiscale en imposant une taxe ridicule aux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), il se moque de vous. Les banques françaises, les géants du luxe, de l’ameublement, du fast-food, du café ou de l’habillement, entre autres, sont-ils des géants américains de l’internet ? Non. Pourquoi ne sont-ils pas alors également ciblés ? Imaginez-vous vraiment Emmanuel Macron, bras dessus bras dessous avec son ami Jean-Claude Juncker, président luxembourgeois de la Commission européenne personnellement impliqué dans le scandale de l’évasion fiscale (4), tenter de lutter contre ce colossal, odieux et permanent transfert de richesses « du bas vers le haut » ? Depuis l’élection de celui qui voulait incarner une présidence jupitérienne, les grandes multinationales, premières responsables du désastre environnemental global et du chômage de masse en France, n’auraient presque plus besoin de lobbyistes à Paris tant le gouvernement est lui-même infiltré par d’anciens (et futurs) hauts cadres de ces grands groupes. Des infrastructures rentables ou des services publics présentés comme défaillants dans des grands médias détenus par des évadés fiscaux (5) sont livrés sur un plateau aux grandes multinationales qui ont contribué à leur appauvrissement pendant que le Ministère de l’Intérieur se charge de maintenir l’ordre.

Malheureusement, et comme si cela ne suffisait pas, votre aveuglement n’est pas limité à la seule question économique. Il semble s’étendre à la violente répression des opposants (6), aux graves atteintes aux libertés fondamentales (7) et à la liberté de la presse (8), aux arrestations de journalistes (9) ou encore aux soupçons de complicité de crime de guerre qui pèsent désormais sur le président de la République (10). Économiquement ou moralement, peu importe l’angle d’analyse, la politique menée par Emmanuel Macron est injustifiable. Faites-vous alors semblant de ne pas comprendre ce qui se joue ? Comment pouvez-vous encore défendre ce système néfaste qui permet aux grandes puissances d’argent de monopoliser nos richesses et de se placer au-dessus de nos lois ? Comment pourrait-il sembler plus “normal” de supprimer des postes dans nos écoles, nos hôpitaux ou des emplois aidés plutôt que d’exiger d’une grande enseigne de fast-food qu’elle paie ses impôts ? Tout cela n’a aucun sens. Comment pouvez-vous d’ailleurs encore vous prétendre « républicains » alors que votre seule obsession est de privatiser la « chose publique » ? On en arrive à se demander ce qui a bien pu vous détourner à ce point-là de la réalité et de nos idéaux démocratiques. L’Histoire jugera très durement Emmanuel Macron et son monde néo-libéral. Les casseurs, c’est eux. Et vous ?

Références :

(1) « L’état (d’urgence) de la France », édition 2019 : https://lhuiledanslesrouages.fr/2017/09/letat-durgence-de-la-france/

(2) Le rapport « Rendez l’argent ! », par Attac : https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/nous-avons-trouve-200-milliards-necessaires-a-la-transition-sociale-et

(3) « La liste des conflits d’intérêts des candidats », sur Mr Mondialisation : https://mrmondialisation.org/la-liste-des-conflits-dinterets-des-candidats/

(4) « Juncker au centre d’un scandale fiscal impliquant 340 multinationales », sur Politis.fr : https://www.politis.fr/articles/2014/11/juncker-au-centre-dun-scandale-fiscal-impliquant-340-multinationales-28907/

(5) « Médias français, qui possède quoi », par Le Monde Diplomatique et Acrimed : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA

(6) « Allô place Beauvau ? Gilets jaunes et violences policières : un recensement exclusif », sur Mediapart : https://www.mediapart.fr/studio/panoramique/allo-place-beauvau-cest-pour-un-bilan

(7) « La casse du droit de manifester », par Amnesty International : https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/la-casse-du-droit-de-manifester

(8) « La liberté d’informer selon LREM : chronique d’un pouvoir autoritaire », sur Acrimed : https://www.acrimed.org/La-liberte-d-informer-selon-LREM-chronique-d-un-5925

(9) « Alexis Kraland et Gaspard Glanz arrêtés, une atteinte grave à la liberté d’informer », sur Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/220419/alexis-kraland-et-gaspard-glanz-arretes-une-atteinte-grave-la-liberte-dinformer

(10) « Des documents « confidentiel défense » sur l’utilisation des armes françaises vendues à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis contre les civils au Yémen ont été présenté lors d’une réunion à l’Élysée, le 3 octobre 2018, en présence d’Emmanuel Macron. Le pouvoir exécutif a pourtant continué à déclarer « ne pas avoir connaissance que des armes [françaises] soient utilisées » au Yémen. » L’enquête Made in France par Disclose.ngo en intégralité : https://made-in-france.disclose.ngo/fr/

[Pour L’huile dans les rouages et Libre Actu]

À lire également :

« 50 pages à suivre absolument sur Facebook » : https://www.facebook.com/lhuiledanslesrouages/posts/2223869374531830

Photo en Une : couverture de L’Obs, 16 novembre 2017

Partagez cet article !