Prescription des délits financiers : l’amendement étouffé

Le 16 février dernier, en pleine affaire Fillon, les députés ont voté, dans le cadre de la loi sur la réforme de la prescription pénale, un article (9-1) instaurant un délai de prescription maximal de 12 ans à compter des faits pour les infractions occultes ou dissimulées; la corruption, les délits financiers, les abus de biens sociaux etc… Or jusqu’à cette date le délai de prescription courait à partir de la découverte des faits pour des délits qui sont, on le sait, particulièrement difficiles à découvrir, instruire et prouver compte tenu de l’omerta qui entoure ce genre d’affaires. En clair c’est un véritable cadeau pour les délinquants en col blanc. Fait assez rare pour être souligné, le texte a fait l’objet d’une quasi unanimité au sein de l’hémicycle. De plus il a été voté à main levé, ne laissant aucune trace du vote des députés.
Ce qui est « étonnant » c’est le silence assourdissant qui a entouré le vote et la promulgation de cette loi, au sein du monde politique certes, mais aussi dans les médias, au cours d’une période pendant laquelle le Penelope Gate a pourtant atteint son paroxysme. Quelques articles par ci par là, mais rien en comparaison avec le battage médiatique de l’affaire Fillon et surtout une désagréable impression de minimiser l’importance de cet amendement proposé au Sénat le 13 octobre 2016 par le ministre de la Justice de l’époque Jean-Jacques Urvoas lui-même et qui n’était donc pas présent dans le projet de loi initial.

Mais alors pourquoi cet ajout et surtout pourquoi n’y ont-ils pas pensé plus tôt ? Tout simplement car jusqu’en 2013 et l’affaire Cahuzac on ne cherchait pas vraiment les fraudeurs et les tricheurs ou du moins la justice n’en avait pas les moyens. Mais depuis ce scandale le gouvernement a créé le parquet national financier (PNF) qui est précisément en charge de ce genre de délits. Actif depuis le 1er mars 2014, il enquête sur de nombreuses affaires dont bien entendu celle qui touche l’emploi fictif de l’épouse de François Fillon. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à trois jours près la justice n’aurait pas pu instruire sur les faits antérieurs à 2005 (alors qu’ils courent de 1980 à 2013) puisque la loi sur la réforme de la prescription pénale a été promulguée le 27 février, quand le PNF a ouvert une information judiciaire le 24 février ! Tout laisse donc à penser que cet amendement est une réaction aux nouveaux pouvoirs de la justice, une situation qui n’est pas sans rappeler celle de 1989 après l’affaire Urba (système de financement occulte du Parti Socialiste) qui avait entrainé le vote d’une incroyable amnistie dans la loi régulant le financement des partis politiques. Quand il est question d’infractions occultes ou dissimulées, un délai de prescription de 12 ans a en effet tout d’une amnistie puisque rares sont les affaires qui sont rendues publiques dans les années qui suivent. (voir la très bonne vidéo de Brut ci-dessous)

Les médias ont aussi totalement occulté le fait que de nombreux citoyens se sont spontanément rassemblés dès le 19 février et pendant toute la campagne présidentielle pour protester vivement contre cette loi (et la corruption du système politique en général) qu’ils considèrent justement comme « la plus scandaleuse du quinquennat », donnant naissance au « Mouvement #StopCorruption« . Ils étaient des milliers dans toute la France, soutenus par des figures de la lutte anti-corruption comme Philippe Pascot et n’ont cessé d’alerter les candidats en leur demandant d’abroger le texte. Un seul s’y était alors engagé, le candidat du NPA Philippe Poutou. Aucun autre retour positif et un sujet totalement absent de la campagne, y compris, et de façon surprenante, chez Jean-Luc Mélenchon, preuve s’il en est des difficultés à faire tomber les vieilles pratiques politiciennes dans un système qui a sans doute profité à tous pendant de nombreuses années. On se souvient aussi de la réaction surréaliste de Benoît Hamon, alors candidat mais surtout député, qui feignit de découvrir l’existence de cet amendement devant Patrick Cohen suite à la question d’un auditeur (voir vidéo ci-dessous).

 

Que s’est-il passé depuis ? Eh bien rien concernant cette loi qui semble bel et bien étouffée ! Et ce, malgré une actualité politique très riche. En premier lieu une élection présidentielle, et surtout des législatives qui ont provoqué le plus grand renouvellement de l’Assemblée Nationale sous la Vème République. Autant de députés qui n’ont en théorie pas d’intérêts à maintenir cette prescription. Pourtant le projet de loi de moralisation de la vie publique, devenu « loi rétablissant la confiance », rédigé par François Bayrou (désormais au cœur d’une enquête pour emplois fictifs dont certains faits révélés par Nicolas Grégoire sont antérieurs à 2005) n’en fait pas mention et il est peu probable qu’un amendement de la majorité En Marche ! vienne abroger la loi actuelle.
Le Mouvement #StopCorruption ne souhaite pas en rester là et compte sur les citoyens pour mettre la pression sur leurs députés afin qu’ils reviennent sur cette disposition révoltante qui favorise les fraudeurs, et ainsi permettre au parquet national financier de bénéficier de conditions optimales pour mener ses enquêtes. Quant au soutien pourtant nécessaire des « grands médias », ils n’y croient plus trop : « Nous avons envoyé de nombreux communiqués de presse aux différents médias pour relayer nos actions et nos revendications et seules les équipes de France Bleu nous ont ponctuellement médiatisés. Les grands médias appartiennent à des groupes financiers qui ont tout intérêt à ne pas revenir sur cette loi. »

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